Dans un centre d’art contemporain, qui n’est jamais resté perplexe devant un extincteur ? On cherche en vain un panneau, une signature… Puis résigné et un peu honteux, on s’éloigne. Jusqu’à ce qu’un médiateur nous rattrape et nous lance un « saisissant, n’est-ce pas ? ».
Évidemment cela n’arrive jamais.
Mais la réalité peut parfois s’en approcher et ce n’est pas discréditer l’art conceptuel que de l’affirmer, preuve de sa portée cérébrale à défaut d’un art purement « rétinien ». Quoi qu’il en soit, ce genre de situation était inenvisageable au début du siècle dernier. Déjà parce que les extincteurs n’existaient pas, mais surtout parce que l’art visuel se déclinait sous ses médiums les plus classiques : tableau, sculpture, gravure.
Il faudra attendre Marcel Duchamp et son esprit contradictoire d’avant-garde pour renverser la table. L’on pense alors à son urinoir retourné, rebaptisé Fontaine (1917) – bien que ce soit sa Roue de Bicyclette (1913) qui fut le tout premier objet exposé ; et son Porte-bouteilles / Séchoir à bouteilles / Hérisson (1914), acheté au Bazar de l’Hôtel de Ville, le premier à n’avoir demandé aucune intervention manuelle post-industrielle.
Marcel Duchamp - Fontaine (1917)
Marcel Duchamp - Porte-bouteilles (1914)
À ce titre Duchamp élabore le concept du ready-made, défini plus tard par André Breton comme « l’objet usuel promu à la dignité d’œuvre d’art par le simple choix de l’artiste. » Un tournant décisif dans la création plastique et, plus encore, une révolution dans la conception même de l’art. Ainsi l’objet manufacturé, devenu potentiellement « chose mentale », venait de gagner ses lettres de noblesse. Et par la même occasion, le déchet aussi.
Toutefois l’introduction d’objets réels dans le circuit artistique avait commencé quelques années plus tôt sous la main de Picasso. Dans un contexte cubiste où la nature morte d’objet s’avérait idéale pour rendre en peinture la représentation de l’espace, il colle sur sa Nature morte à la chaise cannée (1912) un bout de toile cirée pour le cannage et une corde pour le cadre. Sans le savoir Picasso venait d’effectuer le premier geste écoresponsable de l’Histoire de l’art. Deux ans plus tard, il réitère l’expérience sur le modelage d’un verre en y apposant une cuillère en argent, Verre d’absinthe (1914).
Pablo Picasso - Nature morte à la chaise cannée (1912)
Pablo Picasso - Verre d'absinthe (1914)
La voie ayant été ouverte, l’ascension artistique de l’objet/déchet se fera de plus en plus verticale, avant de submerger le monde de l’art au rythme effréné de la société de consommation. Détourné et/ou transformé, ce nouveau médium permettra la naissance des mouvements artistiques du « Junk Art » ou « Recycled Art », inspirateurs de nos éco-artistes contemporains. Parmi eux, Julien Garcia, que nous vous présenterons en détail dans notre prochain post. Affaire à suivre…
« Un déchet n’en est plus un, ça ne l’a jamais été, c’est surtout une matière. »
Ambroise Monod
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