Dans un monde à la nature déclinante, la représentation animale, vectrice de symboles forts depuis les premiers Hommes, se voit devenir l’expression de l’urgence écologique. Victime frontale de la prolifération plastique, la bête est aujourd’hui érigée en sculpture par de nombreux plasticiens contemporains. Cette faune sortie tout droit du sixième continent se démultiplie au rythme inversé du déclin animal, symptôme d’un art qui se veut de plus en plus engagé. Par l’art de la récup’, ces éco-artistes constituent leurs œuvres en utilisant pour matière première ce qu’ils combattent : le plastique.
"700 espèces d’animaux marins ingèrent régulièrement du plastique, dont la totalité des espèces d’oiseaux d’ici 2050."
National Geographic.
Cette semaine, La Troisième Main vous propose de partir à la découverte de deux plasticiens basés en France et dont l’étendard écologique est l’animal : le portugais Bordalo II et Julien Garcia, ce dernier nous ayant généreusement accordé un entretien.
Bordalo II
Le street-artiste Bordalo II s’est donné pour mission d’éveiller les consciences en représentant la nature à partir d’éléments responsables de sa propre mort. À la recherche constante de matériaux nuisibles, il écume friches industrielles et entreprises de recyclage pour donner forme aux thématiques qui l’inspirent - la société de consommation, la surproduction de déchets non-recyclables, la destruction de la planète, de sa faune et de sa flore.
C’est toutefois derrière un pinceau que l’artiste portugais fait ses premières armes. Dans son petit studio manufacturé en atelier, il entasse ainsi les ordures issues de ses créations picturales, jusqu’au jour où il décide de leur offrir une seconde chance. À force de collages, découpages, empilements et pliages, il se voit donner vie à des créatures animales, leur insufflant par la même occasion une conscience écologique.
Tortue géante - située à Moncton
Depuis ce déclic artistique, Bordalo II ne cherche plus à faire du beau, mais à créer matière à penser. Sculpteur du désordre, il intervient essentiellement dans la rue pour briser la dynamique architecturale et impacter l’ensemble de la population. Ses productions sont ainsi pensées par le prisme de la performance, comme un travail d’anticipation sur une nature qui se dénature, qui s'artificialise. Et en tant qu’artiste engagé, iI affirme fièrement sur son site internet être à l’origine de : “ 62 tons of reused materials since 2012 ”, soit "62 tonnes de matériels réutilisés depuis 2012".
Julien Garcia
Redonner vie aux déchets en y modelant des formes animales ? Non ce n'est pas le travail d'un savant fou, mais celui de l'artiste plasticien Julien Garcia. Notre envoyée spéciale Charlotte Rondeau est partie à sa rencontre. Artiste autodidacte à l’instar de Bordalo II, Julien Garcia crée des animaux de plastiques colorés afin de sensibiliser au gaspillage et à la surconsommation. Pour lui, tout commence par un accident : “Pour tout vous dire, je faisais du ménage chez moi et j’ai retrouvé des bouts de plastiques qui trainaient. J’ai donc commencé à faire des bonhommes.”
Le rendu esthétique lui plaît, l’intérêt de cette forme humaine moins. Il décide de se tourner vers la sculpture animale, médium qu’il considère plus puissant pour éveiller les consciences sur les questions du gaspillage et de la surconsommation. Cette dimension écologique est fondamentale dans le travail de Garcia, qui se retrouve à toutes les étapes de son processus de création. Et pour cause, ses sculptures sont réalisées à 99 % à partir de matières recyclées. “ Quand j’ai commencé à faire ces sculptures il y a 15 ans, on ne parlait pas de tout ça même si l’on commençait déjà à informer. J’y suis sensible dans mon art mais aussi dans ma vie de tous les jours. ”
C’est en s’inspirant de la nature qu’il élabore ses œuvres. Il explique : “ Dans mon processus de création, je crée un squelette, je rajoute des couches, un peu comme la nature est faite. ” Le modelage de ses sculptures se constitue donc de papier journal usagé, sont ensuite recouvertes de plastiques, de résines, pour en faire des œuvres incassables et facilement transportables.
Dauphin (2011)
Compositions : mosaïque de plastiques sur papier mâché
Rhino
Compositions : Plastiques colorés et matériaux réutilisés
Ces sculptures totémiques, avec leur mosaïque multicolore, font en partie références aux racines hispaniques de l’artiste et peuvent nous rappeler le travail de Gaudí, artiste qu’il affectionne particulièrement. Toutefois, Garcia puise aussi son inspiration dans l’art africain et la robotique, avec ses engrenages, sa mécanique, ce qui ne laisse pas indifférent les amateurs de Lego - encore moins ceux de Star Wars.
Entretien réalisé par Charlotte Rondeau et mis en relief par Clarisse Rat et Baudouin Vermeulen
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